Patrick Aebischer

Patrick Aebischer

Former President of EPFL and Vice-Chairman
of the Board of GESDA

On parle de plus en plus de pénurie de médicaments et la question de leur production indigène est souvent suggérée. Vous suivez la question depuis longtemps, comment jugez-vous son développement ?

La crise du Covid et les tensions géopolitiques nous ont fait réaliser la fragilité des chaines d’approvisionnement des médicaments. Il faut cependant distinguer diverses problématiques telles que l’accès aux vaccins, l’accès aux médicaments de base ainsi que l’accès aux médicaments innovants comme certains nouveaux anticancéreux.

Comment y répondre ?

Par des politiques distinctes sachant que chacune de ces problématiques nécessite des réponses spécifiques.

Peut-on laisser faire le maché ou doit-on avoir une politique nationale ?

Le marché doit avoir toute liberté pour développer les médicaments innovants qui demandent des investissements significatifs et sont intimement liés à un risque commercial important. La question de la sécurité de l’approvisionnement pour certains médicaments essentiels comme les antibiotiques ou les anesthésiques ainsi que l’accès aux vaccins en cas de pandémie devraient faire l’objet de discussions entre les différents acteurs afin de répondre adéquatement à ce problème de santé public.

Que devrait / peut faire la Confédération dans ce contexte ?

Déployer des politiques incitatives pour le développement de médicaments innovants, un pilier important de notre économie. Cela inclus le soutien de la recherche fondamentale, le soutien aux start-up innovantes ainsi que l’amélioration des conditions cadres pour le capital risque. La Confédération se doit en parallèle d’initier des stratégies innovantes pour faciliter l’accès aux médicaments essentiels ainsi qu’aux vaccins. Elle vient de le faire dans le cadre des vaccins en publiant un document intitulé « Stratégie de promotion à long terme de la recherche, du développement et de la production de vaccins en Suisse ».

Qu’attendez-vous des producteurs de médicaments / vaccins?

Qu’ils soient moins dépendants de la Chine et de l’Inde pour la production d’ingrédients pharmaceutiques actifs (API: active pharmaceutical ingredients) et qu’ils développent des technologies permettant la miniaturisation, la décentralisation et la personnalisation de la production des principes actifs. Cette approche commence à porter ses fruits pour les thérapies cellulaires ou la production d’ARN messager.

Comment voyez-vous le développement de la problématique du manque de médicament évoluer ces prochaines années ?

Elle risque de continuer à se détériorer si l’Europe n’instaure pas d’incitations financières pour encourager les producteurs d’ingrédients actifs à s’installer sur le vieux contient. La Suisse, avec son « know how » en chimie et en matière de technologies de production a une carte importante à jouer.

Qu’est-ce que cela signifie pour les patients? On parle souvent de substitution ? Possible dans quels cas? Quelles problématiques se posent ?

La substitution et la fragmentation des doses offrent des solutions transitoires pour certains médicaments en rupture de stock. Mais elles ne résolvent pas le problème de fonds.

D’un côté, au vu du coût de la santé, le prix des médicaments est dans le viseur, d’un autre, des prix trop bas ne motivent pas les producteurs ? Comment agir de façon plus ciblée et efficace ?

Les problématiques sont différentes selon qu’on parle de médicaments innovants, où il est important de récompenser le risque pris par les entreprises pharmaceutiques, ou de médicaments essentiels dont l’approvisionnement doit être assuré. Le cas des antibiotiques constitue à cet égard un exemple intéressant. L’accès aux antibiotiques de base devrait être assuré avec une production autochtone. Le secteur public devrait également encourager un nouveau modèle d’affaire pour le développement et la fabrication de nouveaux antibiotiques afin de faire face au développement de la résistance à ces derniers. Les entreprises pharmaceutiques sont effectivement peu enclines à développer de nouveaux antibiotiques onéreux qui ne peuvent être utilisés qu’en dernier recours.

Des voix suggèrent que la confédération coordonne la production de médicaments, vaccins pour assurer son autonomie. Votre avis sur le sujet ? pour les vaccins, pour les médicaments « simples » de « basse technologie » et ceux faisant appel aux « dernières technologies » ?

La crise du Covid nous a montré combien la position de la Suisse était fragile pour l’accès aux vaccins. Nous sommes un petit marché et donc peu intéressant pour les grandes entreprises pharmaceutiques qui développent des vaccins en cas de pandémie. Même si le principe actif du vaccin à base d’ARN messager de Moderna était fabriqué en Suisse par la Lonza, il n’a pas été aisé pour la Confédération d’obtenir ces vaccins. Moderna est une compagnie américaine, elle devait en priorité servir le marché américain. Le développement des vaccins à base d’ARN messager offre cependant la possibilité pour les Etats de regagner leur souveraineté de fabrication. Grâce à la miniaturisation de la technologie de production, ces vaccins peuvent désormais être fabriqués rapidement par des petites entités et à un coût compétitif. Cette approche devrait permettre à la Suisse et à d’autres petits pays de mieux se préparer à une prochaine pandémie.

Quelles sont les actions concrètes que vous pilotez / accompagnez ?

Nous avons récemment créé Swiss Vaccine SA, une compagnie basée sur un concept de partenariat public / privé pour la production de vaccins à ARN messager. Cette technologie a l’avantage de la rapidité de production et d’extensibilité (scale-up). La miniaturisation de la technologie permet de développer une unité de production de moins de 2’000 m2 capable de produire des vaccins GMP (Good manufacturing practice) à base d’ARN messager contre les virus émergents et autres pandémies. L’objectif à terme est d’octroyer à la Suisse une indépendance en matière vaccinale. Cette entité aura une capacité de production de 20 millions de doses en moins de 100 jours, ce qui faciliterait grandement la gestion d’une pandémie. Hors pandémie, cette entité pourra contribuer à la préparation à une pandémie (« pandemic preparedness ») en produisant des vaccins expérimentaux contre des agents infectieux potentiellement pandémiques tels que la grippe aviaire. Elle pourra également produire de l’ARN messager de qualité GMP pour des essais cliniques en oncologie ou en thérapie génique (édition génétique) pour des start-up suisses et étrangères développant ces nouvelles approches. L’entité pourrait ainsi maintenir son excellence de production en dehors d’un épisode pandémique. A cet égard, la stratégie de la Confédération envisage une aide financière pour le soutien compétitif de la recherche et des essais cliniques. Ce concept novateur prévoit également la possibilité d’octroyer un financement de base pour la réservation d’une capacité de production de vaccins dans le cas d’une future pandémie (reservation fee), garantissant ainsi au pays cette souveraineté vaccinale qui a fait défaut dans le cas de la pandémie de SARS-Cov 2. Un concept similaire pourrait être appliqué pour certains médicaments essentiels comme les antibiotiques.

Leave a reply