Comment déterminer l’intérieur de l’extérieur chez l’homme ? Cette question, en apparence simple, touche à l’une des énigmes fondamentales de notre existence : celle de la frontière — entre soi et le monde, entre le vivant et l’inerte, entre le corps et l’esprit.
Chez les êtres inanimés, la distinction semble évidente. Briser une pierre, c’est diviser un volume sans altérer une intériorité qu’elle n’a jamais eue. L’intérieur de la pierre n’est qu’un prolongement de son extérieur. Il n’y a pas de secret, pas de repli, pas de sujet.
Mais pour l’homme, et plus largement pour tout être vivant, l’intérieur est une condition de possibilité de la vie. Il n’est pas une simple cavité mais un monde : un milieu intérieur, comme le nommait Claude Bernard, où se jouent les équilibres subtils de notre survie. Détruire cet intérieur, c’est faire s’effondrer la totalité de l’être. Le cœur, littéralement et symboliquement, est ce centre battant, ce sanctuaire clos, où l’intérieur prend chair et rythme.
Et pourtant, cette frontière n’est pas stable. Elle n’est ni purement anatomique, ni strictement visible. Notre peau, cette membrane fragile, poreuse et vivante, en est le symbole tragique. Elle est à la fois barrière et lieu de passage. Elle touche le monde tout en contenant notre subjectivité. Elle est surface, mais aussi profondeur. La psychologie, la psychiatrie et la psychanalyse nous enseignent que cette frontière est aussi mentale. Certains n’arrivent pas à la construire. D’autres la voient se dissoudre. Il existe des pathologies de l’extériorité — ces moments où l’extérieur nous envahit, où les voix du monde résonnent à l’intérieur comme des menaces. Et des pathologies de l’intériorité, lorsque le soi devient prison, labyrinthe ou abîme.
Ainsi, nous ne sommes pas simplement des corps limités par une enveloppe : nous sommes des êtres dont la subjectivité émerge dans le jeu mouvant entre un dedans et un dehors. Nous construisons nos limites autant que nous les subissons. Ce que nous appelons “moi” n’est pas une forteresse, mais une interface : une oscillation permanente entre le monde et l’intime.
C’est dans cet entre-deux, dans cette zone floue et sensible, que se forge l’expérience humaine. Un laboratoire de subjectivité, certes, mais aussi un espace d’ajustement permanent, où se construisent nos repères, nos comportements et nos relations. Comprendre cette frontière, c’est mieux agir — pour soi, pour les autres, pour la société.