[Editorial] L’illusion de l’efficacité sans l’effectivité : un mirage de la modernité

[Editorial] L’illusion de l’efficacité sans l’effectivité : un mirage de la modernité

L’obsession contemporaine pour l’efficacité est telle que l’on en oublie trop souvent son corollaire indispensable : l’effectivité. Être efficace signifie optimiser les moyens, maximiser la rapidité et minimiser les pertes. Mais si cette dynamique n’est pas arrimée à une finalité claire et légitime, elle devient un exercice vide, une mécanique qui tourne sur elle-même sans produire de réelle valeur.

Prenons l’exemple de l’intelligence artificielle appliquée à la recherche scientifique. Grâce à l’IA, nous disposons aujourd’hui de capacités d’analyse et de synthèse inégalées. Un algorithme peut parcourir en quelques secondes des milliers d’articles, détecter des corrélations subtiles, formuler des hypothèses. Mais si cette puissance est mise au service d’objectifs flous, de biais méthodologiques ou d’un manque de rigueur scientifique, elle ne fait qu’amplifier l’errance. Une IA efficace, mais non effective, produira un flot d’informations souvent incohérentes ou redondantes, un bruit algorithmique qui risque de nous éloigner plus qu’il ne nous rapproche de la vérité.

L’effectivité, en revanche, ne se mesure pas en termes de rapidité ou d’effort minimisé, mais en fonction du sens et de l’impact des actions entreprises. Un chercheur qui s’appuie sur une IA bien calibrée, avec une orientation scientifique claire, produira une connaissance véritablement transformative, qui enrichira son domaine au lieu de le saturer d’hypothèses inutiles. De même, une entreprise peut être parfaitement efficace dans la production de biens, en optimisant chaque étape du processus, tout en étant dénuée d’effectivité si ces biens ne répondent à aucun besoin réel, aucune aspiration humaine profonde. L’histoire est jalonnée d’innovations industrielles dont l’ingéniosité technique s’est heurtée à une absence totale de pertinence sociale.

L’efficacité sans effectivité est ainsi une forme d’aveuglement, un élan sans direction, un mouvement perpétuel qui confond vitesse et destination. Une société qui érige l’efficacité en dogme sans se questionner sur la finalité de ses avancées court le risque d’un progrès sans sagesse, d’une accélération qui ne mène nulle part.

L’enjeu n’est donc pas d’être simplement performant, mais d’être juste dans sa performance. Une intelligence non finalisée, aussi efficiente soit-elle, n’est qu’un instrument de dispersion. Une technologie qui n’intègre pas une boussole éthique et épistémologique ne fait que propulser l’humanité dans un avenir incertain, sans garantie de progrès réel. Il nous faut donc toujours nous interroger : à quoi sert cette efficacité ? À quel dessein répond-elle ? Car si nous oublions ces questions fondamentales, nous risquons de nous perdre dans l’ivresse du mouvement, oubliant que le plus important n’est pas d’avancer vite, mais d’avancer vers quelque chose qui en vaille la peine.

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