Campus Biotech: entretien avec Anne-Lise Giraud, professeure au Département de neurosciences fondamentales

Campus Biotech: entretien avec Anne-Lise Giraud, professeure au Département de neurosciences fondamentales

Cette semaine, nous avons rendez-vous avec Anne-Lise Giraud, professeure au Département de neurosciences fondamentales, dont le groupe a récemment publié un article dans une revue prestigieuse sur l’interprétation des signaux par le cerveau et qui vient de s’installer au Campus Biotech de Genève:

 

1) Pourriez-vous nous décrire l’objet de vos recherches?

Nous cherchons à comprendre les opérations neurales qui permettent de transformer l’information acoustique de parole en représentations mentales ; comment ces opérations sont altérées dans les maladies du développement linguistique, et comment il est possible d’intervenir sur ces opérations pour restaurer un fonctionnement normal, par exemple dans la dyslexie, les troubles perceptifs dans l’autisme, la réhabilitation auditive par un implant cochléaire. Nous cherchons également à comprendre si les contraintes liées à l’organisation neurophysiologique des fonctions cognitives, du langage en particulier, impliquent nécessairement un traitement optimal de l’information. Pour cela nous réalisons des modèles neurocomputationnels contraints par un réalisme biophysique et neurophysiologique afin d’évaluer leur performance dans le domaine de la reconnaissance de la parole. Cette approche est à la fois opposée et complémentaire à l’ingénierie traditionnelle de la reconnaissance automatique de la parole qui cherche à optimiser les performances indépendamment de la biologie.

 

2) Quels sont, selon-vous, les défis majeurs qui attendent les neurosciences?

Les neurosciences humaines ont fait un bond en avant énorme grâce à l’imagerie cérébrale dans les années 90. Les avancées chez l’humain sont maintenant plus lentes, moins fracassantes, et il y a un retour nécessaire vers les modèles animaux, en particulier grâce à des techniques nouvelles telles que l’optogénétique. Les modèles animaux  des maladies neurologiques et psychiatriques restent cependant très imparfaits, et des approches moins cloisonnées (humain vs. animal) doivent émerger. En l’absence d’avancée technologique majeure pour l’étude du cerveau humain, qui permettrait de regarder son fonctionnement sous un nouvel angle, le défi actuel est plutôt d’arriver à mettre ensemble les données expérimentales humaines et animales, les données cliniques, afin de proposer des modèles de fonctionnement et de dysfonctionnement pouvant par la suite être mis à l’épreuve expérimentalement. Les neurosciences sont submergées de données expérimentales que la communauté parvient difficilement à digérer. L’effort futur se tient à mon sens au niveau de la réflexion et de l’intégration de toutes ces données dans des modèles sérieux et d’envergue supérieure à ce qui a été fait jusqu’à présent.

 

3) Votre groupe à récemment publié un article dans une revue renommée: quelles sont les avancées qui y sont décrites?

Nous montrons que les informations circulent dans les différents étages du cortex auditif de façon birdirectionnelle sur des canaux fréquentiels différents. Nous ne sommes pas les seuls à avoir fait ce constat au même moment. Les groupes de Pascal Fries à Frankfurt (biorxiv), et de Peter Roelfsema (PNAS) à Amsterdam ont fait la même découverte. Nous montrons de plus que les informations circulent en alternance ce qui constitue une curiosité, car sur un plan purement fonctionnel une division en fréquence suffirait à séparer les informations sensorielles montantes et descendantes. Ceci est un bon exemple de contrainte neurophysiologique que nous devrons intégrer à nos modèles, même si nous n’en comprenons pas encore exactement le rôle. Dans ce cas seule la modélisation neurocomputationnelle pourra nous renseigner sur la fonction d’un tel mode d’organisation.

 

4) Votre laboratoire a récemment été transféré au Campus Biotech: Quelles synergies attendez-vous?

L’Arc Lémanique est très dense au plan des Neurosciences, mais la petite distance géographique et historique entre Genève-Lausanne crée tout de même obstacle. Je suis heureuse que les Neurosciences humaines aient trouvé un lieu de rassemblement, où une culture scientifique de pointe pourra émerger. Au plan de mes propres recherches, un lieu intégrant la recherche fondamentale, la neuroprothèse, la bioingénierie, et un grand projet de modélisation du cerveau est un l’emplacement absolument idéal, pour ainsi dire unique au monde.

 

5) Quels sont les atouts de la Health Valley qui soutiennent vos efforts de recherche?

Nous n’avons pas pour l’instant de partenariat avec l’industrie, mais bénéficions naturellement du vent énergisant de la Health Valley. Le potentiel est là pour réaliser tout type de projets dans l’application de nos recherches.

 

6) Un appel à lancer à la communauté des Sciences de la vie?

Pas un appel, mais le souhait que la recherche animale régulièrement menacée puisse se poursuivre, sous contrôle éthique évidemment, car elle est indispensable à la compréhension des processus biologiques qui sous-tendent la vie et les maladies. Malheureusement les maladies ne sont pas figées, elles évoluent avec les modes de vie, et la recherche en biologie doit conserver toutes ces facettes pour être réactive.

 

De façon plus personnelle :

7) Comment vous définiriez-vous?

“Trop d’énergie et pas assez de fatalisme” : Un constat fataliste de mon père à mon sujet.

 

8) Une passion que vous cultivez à côté de votre laboratoire?

Au sens propre: les végétaux. Ils incarnent la force et l’esthétique du vivant, et le jardinage m’impose de laisser faire la nature. Une thérapie.

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