La médecine de demain s’invente à Campus Biotech: interview de son directeur

La médecine de demain s’invente à Campus Biotech: interview de son directeur

Il aime Bach, Jean-Jacques Goldman, Largo Winch et la science. Il pratique l’orgue, le piano, le dessin, la photographie et les molécules. Ses havres de paix sont à Savièse et ses points d’ancrage sont son épouse et ses trois enfants. Et pourtant Benoît Dubuis est, depuis longtemps, un pivot central hyperactif des sciences de la vie en Suisse, voire dans le monde. Hélas pour ce discret, il a dû, cette semaine, sortir de l’ombre et entrer définitivement dans la sphère publique. Benoît Dubuis est en effet le tout nouveau et premier directeur de la Fondation Campus Biotech et directeur du développement du Centre Wyss. Il est celui qui a été choisi par Ernesto Bertarelli, Hansjörg Wyss, Patrick Aebischer et Jean-Dominique Vassalli pour redonner vie aux cendres du site, après le départ de Merck Serono de Genève. Or, même s’il compte, selon le magazine Bilan, parmi les vingt personnalités les plus importantes de la pharma suisse, à côté notamment de Daniel Vasella, il n’a même pas de page Wikipédia. C’est dire. Levée de rideau sur un homme qui déteste dire «je» et «moi».

Mardi dernier, vous avez ouvert les portes du Campus Biotech après avoir vécu la fin de Merck Serono à Genève. Qu’avez-vous ressenti?

Des sentiments très forts.

Mais encore?

Le bonheur de la renaissance du site – et surtout de ce projet très enthousiasmant de concentrer ici la recherche en neuro-ingénierie et en santé digitale – a été à la hauteur du choc que la Suisse romande a ressenti à l’annonce, en mai 2012, de la fermeture du siège de Merck Serono et, surtout, le licenciement de plus de 1000 personnes. Cela a été un tel traumatisme pour toute une région, pour Genève, très attachée au nom de Sécheron et à son histoire industrielle, et pour moi, à titre personnel, car je connaissais nombre de personnes qui travaillaient ici, qui furent des collègues et qui étaient devenus des amis.

Ce 24 avril 2012, date de la fermeture par Merck KGaA, qu’avez-vous immédiatement pensé, passé le choc?

Qu’il fallait au maximum limiter la casse humaine et, surtout, conserver chez nous ces compétences exceptionnelles.

Que s’est-il passé?

Que l’on pense au groupe de travail conduit par l’Etat de Genève, le soutien apporté aux start-up qui souhaitaient profiter du programme initié par Merck Serono, les actions conduites par BioAlps et d’autres organisations: la mobilisation fut totale. Il fallait répondre à cette crise, soutenir nos collègues et souvent amis touchés par cette décision brutale, leur offrir des pistes, que ce soit dans des projets entrepreneuriaux, de nouveaux emplois. Pour ne prendre qu’un exemple, quand BioAlps (l’organisation faîtière des sciences de la vie et des biotechs qui regroupe 75o entreprises en Suisse romande, présidée par Benoît Dubuis, ndlr) a proposé un «job fair» pour faciliter la mise en lumière des acteurs des sciences de la vie régionaux et soutenir des transitions professionnelles, le soutien tant de Merck Serono que des entreprises régionales a été total.

Pour quel résultat?

J’ai été impressionné par la résilience de notre région et par la dynamique du cluster. Les statistiques de l’emploi furent bien meilleures que je n’aurais pu l’imaginer… Mais le travail n’est pas terminé, certaines personnes occupant toujours des emplois précaires ou n’exploitant pas pleinement leurs compétences.

Entre le 24 avril 2012 et le 4 novembre 2014, effectivement. Comment tout cela a-t-il pu aller aussi vite?

Par un hasard de l’histoire, il s’avère que le jour même où le groupe pharmaceutique allemand a subitement fait cette annonce, Ernesto et Dona Bertarelli inauguraient deux chaires de recherche à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Selon ce que j’ai appris par la suite, la famille Bertarelli a, de son côté, tout fait pour redonner vie à ce site. Pour preuve: en décembre 2012, Ernesto Bertarelli et Hansjörg Wyss, fondateur de la medtech alémanique Synthes, ont présenté, aux côtés du président de l’EPFL et du recteur de l’UNIGE, un projet de relance qui comportait non seulement le rachat de ce vaisseau amiral qu’est le bâtiment de Sécheron mais aussi un concept extrêmement cohérent de centre pluridisciplinaire dans les domaines de la santé. Le 22 mai 2013, tout a été noué; le Campus Biotech est né, ainsi que le Centre Wyss, grâce à son apport de 100 millions de francs. En deux ans et demi, la communauté scientifique et politique aura ainsi vécu une crise, le reclassement de plus de 70% des salariés et la naissance d’un des plus importants centres de recherche et de développement en neuroingénierie du monde.

Le scientifique que vous êtes y voit-il un miracle?

Une chance incroyable, en tout cas. Le Campus Biotech est une occasion unique pour l’UNIGE, l’EPFL et leurs partenaires de créer un nouvel écosystème impliquant des acteurs académiques, cliniques, industriels et entrepreneuriaux. Plusieurs universités et centres de recherche britanniques ont eu la même idée, voici dix ans déjà, en ce qui concerne la recherche biomédicale. A savoir regrouper et faire collaborer sous le même toit les meilleurs spécialistes, favoriser la naissance de start-up et donner naissance à de nouvelles thérapeutiques. Certes, l’an prochain, le Francis Crick Institute verra le jour au coeur de Londres, mais après onze ans de conception et plus de 1 milliard de francs d’investissements… Avoir pu réaliser la même chose dans le domaine des neurosciences en moins de deux ans et à un coût infiniment moindre est quelque chose d’unique au monde.

Le cerveau, c’est un peu abstrait pour l’heure, surtout le mégaprojet «Human Brain Project», qui vise, très grossièrement, à recréer un cerveau et ses fonctionnements en numérique. Par contre, la discipline des neuroprothèses pourrait prochainement révolutionner le monde. Dites-nous en plus.

Vous l’avez vu récemment. L’EPFL a annoncé, en septembre dernier, qu’une équipe du professeur Grégoire Courtine était parvenue à faire marcher des rats entièrement handicapés des membres inférieurs grâce à des stimulations électriques et chimiques. Les tests sur des humains devraient débuter l’été prochain. De plus, les neurobiologistes sont parvenus à faire mouvoir des bras robots par la seule pensée de sujets paralysés, grâce à des électrodes implantées dans le cerveau. Mieux, un amputé du bras a retrouvé le sens du toucher avec une prothèse reliée aux nerfs périphériques grâce au professeur Micera: lors des tests, le patient pouvait saisir des objets d’une manière naturelle et, les yeux bandés, en identifier la consistance et la forme.

Et la musique, et vos bandes dessinées dans tout cela?

Considérez la musique comme une passion, ma «sophrologie» qui me permet de me détacher d’un quotidien bien rempli. Pour ce qui est de l’écriture, je pense qu’il est de notre responsabilité de partager nos expériences, d’expliquer tant les préoccupations que les ambitions de la recherche, de faire prendre conscience à toute la population de l’importance du secteur industriel des sciences de la vie aujourd’hui… et d’anticiper une réflexion par rapport à l’avenir.

 

Source: Le Matin Dimanche

 

2 Comments

  1. ANATCHKOV - November 13, 2014

    Cher Benoit,

    Félicitations pour l’ouverture !

    Tout le meilleur pour la suite….

    Bien à vous,

    Laetitia

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