Ce week-end, j’ai découvert une voix qui m’a profondément touché : celle de Cristina Campo, poétesse italienne discrète, mais d’une intensité rare. À travers ses essais rassemblés dans The Unforgivable, j’ai redécouvert les contes de fées… mais à mille lieues de l’univers édulcoré qu’on leur associe souvent.
Campo ne parle pas des contes pour enfants, mais de ces récits symboliques qui, comme les rêves, éclairent nos zones d’ombre. Je me suis laissé emporter par sa vision subtile des contes de fées comme révélateurs du moi profond, de la maturité, et du rapport au temps. À contre-courant de la croyance commune selon laquelle les contes sont destinés aux enfants, Campo — en écho à des penseurs comme Einstein, J.R.R. Tolkien ou Maurice Sendak — affirme leur pouvoir de transformation intérieure pour les adultes.
Les contes de fées ne sont pas seulement des récits merveilleux : ils sont des outils de connaissance existentielle, des fictions initiatiques qui nous révèlent à nous-mêmes. Ils abordent, dans une langue symbolique et poétique, la tâche la plus difficile et inachevable de l’existence : savoir qui l’on est et ce que l’on veut. Mais le paradoxe, c’est que ce savoir ne peut émerger qu’en se perdant, en acceptant de ne pas savoir. On ne découvre pas son désir par volonté, mais par errance, et souvent par surprise.
Campo nous rappelle que de nombreux contes reviennent à leur point de départ, fermant le récit comme un cercle — ou mieux, une spirale : le héros ou l’héroïne revient au même endroit, mais transformé·e. Ce qui semblait une ligne droite devient un labyrinthe, une étoile, ou même un point immobile. Le voyage est intérieur, même quand le corps se déplace. Ce que l’on cherche — le mot magique, la pomme chantante, l’animal qui parle — est à la fois inconnaissable et indispensable, et ne se révèle qu’au terme d’une trajectoire imprévisible.
L’un des paradoxes centraux est que la destination ne peut être reconnue avant d’avoir été atteinte. En d’autres termes, on ne sait pas ce que l’on cherche, mais on doit quand même marcher, comme si l’on savait. C’est ce qui rend le conte si proche de l’expérience humaine : on part sans savoir, et pourtant quelque chose nous guide. Le but semble extérieur, mais il est en réalité déjà en nous — un centre immobile vers lequel nous tournons, depuis l’enfance jusqu’à la mort. Dans cette optique, le temps dans les contes se dilate ou se contracte. La logique temporelle ordinaire y est abolie, comme dans les rêves. Le passé et le futur se mêlent au présent dans une forme de « maintenant absolu », qui est aussi le terrain de la révélation. Le monde devient enchanté, non parce qu’il change, mais parce que notre regard change. Le réel devient porteur de sens, comme transfiguré.
Cette réinvention du temps rejoint une vision spirituelle et poétique du monde : la connaissance de soi ne passe pas par le raisonnement, mais par une sorte de basculement sensoriel et symbolique. Le conte agit comme un miroir voilé : il reflète notre vérité, mais sous une forme codée, déformée — comme le fait aussi le rêve. C’est pourquoi il touche si profondément. C’est pourquoi, aussi, il nous parle d’amour : car l’amour, comme les contes, nous dévoile à nous-mêmes, et nous apprend à aimer ce que nous ne comprenions pas encore.
La maturité, nous révèle Campo, n’est pas une conquête intellectuelle, ni une accumulation d’expériences. C’est une bascule soudaine, parfois biologique, où toutes les perceptions s’alignent. Ce n’est pas l’effet d’une persuasion, mais d’une vérité qui devient chair. Ce moment — où la vérité devient nature — est le fruit d’un long travail souterrain, symbolisé dans les contes par les épreuves, les pertes, les rencontres magiques.
À travers cette lecture des contes, Campo propose une philosophie poétique du devenir : pour se découvrir, il faut accepter de se perdre ; pour grandir, il faut consentir à ne pas savoir. Les contes ne nous disent pas ce qu’il faut faire. Ils nous aident à traverser l’incertitude, à habiter l’étrangeté de notre condition humaine, et à faire confiance à ce qui vient.
Je vous invite à redécouvrir, comme moi, les contes de fées comme des archétypes puissants pour mieux comprendre le cheminement intérieur. Loin d’être des divertissements infantiles, ils sont des cartographies symboliques de la maturité humaine. Et c’est précisément dans leur étrangeté, leur logique onirique, leur intemporalité que réside leur vérité : celle d’un voyage vers soi-même, dont la destination ne se révèle qu’à ceux qui acceptent d’y croire. Alors exerçons-nous y ! Non pas en cherchant une « interprétation », mais en laissant nos rêves nous habiter au réveil. En les laissant agir. Parce qu’ils savent peut-être avant nous ce que nous cherchons. Faisons confiance à cette part invisible de nous-mêmes. À croire que l’on peut se perdre, et que c’est là que commence le vrai chemin.
Je vous invite à faire de même : à lire un conte à voix haute, à noter un rêve, à vous laisser guider sans toujours comprendre. C’est peut-être là que la vraie connaissance commence.
Et maintenant faites une petite pause… Et vous — quel rêve vous habite encore ? … révélant ce qui vous habite en secret, ce que votre esprit rationnel ne peut pas encore nommer. Il sait peut-être avant vous ce que vous cherchez.