Il y a une ironie savoureuse dans notre manière contemporaine de traiter la confidentialité. Il suffit parfois qu’une information soit précédée d’un regard appuyé, d’un soupir solennel ou du mot fatidique « confidentiel », pour qu’elle prenne aussitôt des ailes. C’est comme si le simple fait d’insister sur son caractère sensible et personnel ne faisait qu’attiser le désir irrépressible de la divulguer.
Je souris souvent – non sans une pointe de fatalisme – en observant à quelle vitesse circulent certaines confidences dans nos petits cercles. Ce qui me fascine, ce n’est pas tant l’inefficacité des serments de discrétion que la mécanique psychologique qu’ils déclenchent. Plus on demande à quelqu’un de garder une chose pour lui, plus cette chose prend de la valeur. Et qui dit valeur, dit pouvoir. L’information, depuis toujours, est un levier subtil d’influence.
La garder jalousement, c’est se parer d’une aura d’importance : je sais quelque chose que vous ignorez. La laisser filtrer au compte-gouttes, c’est insinuer que l’on est dans les cercles qui comptent, que l’on fait partie des initiés. Et parfois, la divulguer purement et simplement, c’est transgresser une règle implicite, avec le plaisir secret de celui qui brave l’interdit – mais toujours en habillant le geste d’un « surtout, ne dis pas que ça vient de moi ».
Ce jeu trouble, tout le monde le connaît. Et chacun, à sa manière, y a déjà participé. Recevoir une information confidentielle devrait pourtant éveiller une réflexion simple : si cette personne me livre ce secret aujourd’hui, qu’est-ce qui l’empêchera de livrer le mien demain ? L’indiscrétion, fût-elle feutrée, est rarement un accident : c’est une habitude.
La confidentialité véritable ne se proclame pas. Elle se vit. Elle ne repose pas sur l’appel au silence, mais sur la confiance réciproque. Elle n’est ni une posture ni un artifice. Elle est une qualité d’âme, une discipline intérieure. Dans un monde où l’information est devenue un produit de consommation, où le je sais est une monnaie sociale, il est peut-être temps de réapprendre le luxe discret de ne pas tout dire – et surtout, de ne pas tout répéter.
Car au fond, ce que l’on tait en dit souvent bien
plus long que ce que l’on partage.