UN CONSTAT : Moins visible et percutant que la démonstration de Trump, mais tout aussi insidieux et destructeur, les adeptes de la théorie du chaos sont parmi nous, sournois, perfides, manipulateurs. Ils vous font douter, mais eux savent exactement où ils veulent aller. Leur arme ? L’altération progressive de la vérité, l’érosion lente et méthodique des repères. Chaque jour, des réalités que l’on croyait inébranlables sont sapées de l’intérieur. Un haut fonctionnaire dénonçant une dérive populiste se voit discrédité en quelques heures, son nom traîné dans la boue des réseaux sociaux. Une voix experte est noyée sous un flot de calomnies, un fait avéré devient une simple “opinion parmi d’autres”. Pendant que l’attention se fixe sur les provocations les plus bruyantes, eux avancent masqués. Ils ne brandissent pas la hache, ils préfèrent le scalpel. Ils fragmentent, distordent, instillent le doute jusqu’à rendre toute certitude suspecte, tout repère flottant, toute résistance vaine.
Ce poison n’a rien de nouveau. Depuis des siècles, il est l’arme de ceux qui imposent leur ordre sans jamais se désigner comme bourreaux. Machiavel l’avait théorisée, les dictateurs du XXe siècle l’ont raffinée, les stratèges numériques l’ont industrialisée. L’attaque n’est plus frontale, elle est diffuse. L’objectif n’est pas de convaincre, mais de saturer l’espace public de contradictions, d’incohérences, d’incertitudes, jusqu’à ce que plus rien ne semble fiable. Naomi Klein, dans La Stratégie du choc, décrivait comment le chaos était exploité pour imposer des bouleversements irréversibles. Mais aujourd’hui, la sidération n’a plus besoin d’un choc brutal. Elle s’infiltre, goutte à goutte, dans chaque concession arrachée à la raison, dans chaque renoncement banalisé, dans chaque norme déplacée imperceptiblement. Ce n’est plus un assaut violent, c’est une érosion patiente et méthodique. Le but est limpide : épuiser notre discernement, brouiller nos repères, nous plonger dans un flou permanent où le vrai et le faux s’équivalent, où l’indignation s’émousse, où l’habitude remplace la vigilance. Car un peuple désorienté n’oppose plus de résistance. Il ne débat plus, il se replie. Il n’essaie plus de comprendre, il abdique. Voilà leur triomphe : faire de nous des spectateurs impuissants, sidérés, prisonniers d’un monde où tout semble à la fois possible et inatteignable, révoltant et acceptable. Alors non, il ne faut pas seulement se méfier des cris spectaculaires, mais traquer les petits arrangements, les fausses évidences, les vérités distordues, les doutes imposés, les chevaux de Troie qui nous menacent de l’intérieur. Car le danger n’est pas toujours là où l’on croit. Il est aussi, et peut-être surtout, parmi nous.