Premier grand anniversaire 2024 : laissons-nous inspirer par Marco Polo, marchand, ethnographe et homme d’État … bien plus que l’importateur de pâtes retenu par l’histoire commune.

Premier grand anniversaire 2024 : laissons-nous inspirer par Marco Polo, marchand, ethnographe et homme d’État … bien plus que l’importateur de pâtes retenu par l’histoire commune.

Le 8 janvier nous célébrons les 700 ans de la mort de Marco Polo. Que retenir ?
Nous pourrions nous arrêter à sa biographie de marchand vénitien, célèbre pour son voyage en Chine, qu’il raconte dans un livre intitulé « Devisement du monde » ou « Livre des merveilles ». 

J’aimerais retenir en premier lieu qu’il s’agissait d’un homme d’une curiosité universelle, observateur attentif des mœurs et des coutumes des hommes. Dans son carnet de voyage, Marco Polo accorde une attention particulière aux « affaires politiques et économiques du vaste empire mongol, la poste, la monnaie, le mécanisme des prix […] » Eh oui, c’est avant tout un marchand. Aussi, son observation se tourne-t-elle naturellement vers le précieux et la valeur. Il ne manquait pas ainsi de souligner tout le profit que le Grand Khan pouvait tirer des émissions monétaires fondées sur le billet de banque. Ce dernier faisait entrer des métaux précieux dans son trésor et les convertissait en billets. Il porte un intérêt particulier aux pierres précieuses : « il remarque en Perse les splendides turquoises (ch. 34, 6), dans le nord de l’Afghanistan les lapis-lazulis à la couleur bleue intense (ch. 46, 30) et les rubis (ch. 46, 10) au rouge brillant. Ceylan est la terre par excellence des pierres précieuses. On y trouve rubis (ch. 168, 27), saphirs (ch. 168, 29), topazes (ch. 168, 29), améthystes (ch. 168, 29-30). En Inde autres merveilles : les perles (ch. 169, 11) ».

En marchand avisé, il est aussi intéressé par les épices, mentionnant « tour à tour la cannelle (ch. 116, 68), le galanga (ch. 125, 13), la noix muscade (ch. 162, 10), le safran (ch. 154, 15), surtout les diverses sortes de poivre, poivre blanc, poivre noir, cubèbe (ch. 160, 44 ; ch. 174, 7 ; 162, 10), le gingembre (ch. 174, 7) et le clou de girofle (ch. 116, 64)31 ». Il s’intéresse aussi aux divers types de tissus.

Pourtant nous ne saurions nous arrêter à cette dimension économique. Marchand, mais également ethnographe, homme d’État !

Marco Polo relate les légendes entourant des merveilles naturelles, tel L’Arbre sec (chap. 39). « Il est grand et gros, et […] vide dedans. Il est jaune comme bois et moult fort ; et n’a nul arbre près » (Chap. 39). C’est à cet endroit qu’aurait eu lieu la bataille d’Alexandre contre Darius. Il est polyglotte et parlait vraisemblablement le mongol, le chinois, le persan, l’ouïgour et l’arabe. Il maîtrisait aussi quatre systèmes d’écriture. À travers son récit, il fait preuve d’une grande sensibilité à la diversité des sociétés et « ne porte presque jamais de jugement négatif ». Loin d’opposer sa culture à celles qu’il découvre, il « décrit un monde pluriel fait de différences démultipliées, qui interdisent au Vénitien et à ses lecteurs de se tenir pour le centre du monde et de se targuer d’une identité irréductible ».

Adoptant le ton neutre des encyclopédies, au lieu de donner des renseignements sur son voyage proprement dit, il accumule les observations factuelles sur les pays visités : géographie ce qui l’amène à développer la cartographie. L’atlas catalan de 1375 intègre les informations données par Marco Polo pour dessiner la carte de l’Asie centrale et de l’Extrême Orient, ainsi que, partiellement, pour l’Inde : même si les noms sont déformés, Cathay est bien situé à la place de la Chine. De même, la mappemonde de Fra Mauro détaille la Via mongolica, voie de Mongolie des épices et de la soie. Cet ouvrage servira de référence pour les explorateurs ultérieurs.

Homme d’État – Pour bien comprendre son action, il faut remonter un peu dans l’histoire de sa famille, car il avait de qui tenir ! Marco Polo a quinze ans lorsque son père et son oncle reviennent en 1269 d’un long voyage en Asie centrale où ils ont rencontré en Chine le premier empereur mongol de la dynastie Yuan, Kubilai Khan, petit-fils de Gengis Khan, qui leur propose le monopole de toutes les transactions commerciales entre la Chine et la Chrétienté et demande en échange l’envoi d’une centaine de savants et artistes pouvant illustrer l’Empire des chrétiens. Ils sont porteurs d’un message de sympathie et de cette demande pour le pape, qui voit dans ces tribus (appelées alors tartares en Occident) depuis 1250 un possible allié dans la lutte contre l’Islam. En 1271, à titre de commerçants mais aussi d’ambassadeurs, ils quittent à nouveau Venise pour retourner en Chine avec le jeune Marco. Après trois ans de voyage, Marco Polo est reçu avec ses parents à la très fastueuse cour mongole, peut-être à Cambaluc. D’abord, semble-t-il, envoyé en légation avec son oncle dans la ville frontière de Ganzhou, à l’extrémité ouest de la Grande Muraille, où il fait ses classes (apprenant probablement l’ouïghour), il devient ensuite un enquêteur-messager du palais impérial suzerain de la Chine, de l’empire Perse et de la Horde d’or. À ce titre il accomplira diverses missions pour le grand khan, tant en Chine que dans l’océan Indien : Corée, Birmanie, Sumatra, Cambodge, Viêt Nam.

Vers la fin du règne de Kubilai Khan, Marco Polo et ses parents obtiennent le droit de retourner dans leur pays selon un trajet pas très clair… mais qui le voit passer par Trébizonde, plus ou moins sous l’influence des Génois (avec qui Venise entrera en guerre sous peu) et il est dépouillé d’une partie de sa fortune. A peine rentré, il soutient l’effort de guerre de Venise et est fait prisonnier. Il profitera de sa captivité pour faire mettre par écrit ses souvenirs d’Orient, des écrits qui furent autant de source d’inspiration pour Henri le Navigateur, Vasco de Gama et Christophe Colomb au moment des Grandes Découvertes prouvant la vivacité de la curiosité scientifique, caractéristique de l’Occident.

Marchand, ethnographe, homme d’État, Marco Polo est bien plus que l’importateur de pâtes que l’histoire commune a retenue… et qui est même probablement fausse puisque les Grecs, les Romains et les Arabes, consommaient des pâtes bien avant le voyage du célèbre marchand italien ! Retenons plutôt son sens de l’observation (et de l’opportunisme) et le respect des cultures, de l’autre, de la différence… des qualités qui font tant défaut de nos jours.

Sources :

Le livre de Marco Polo ou le devisement du monde, Paris, Albin Michel, 1955
Wikipedia

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